BAYONNE, VOYAGE INTERIEUR

Elle n’en a jamais assez, en réclame toujours davantage. Depuis le temps, plus exactement la nuit des temps, tous croyaient lui avoir donné assez de mots, et des kyrielles d’images pour la raconter, mais non, il n’y en a jamais trop. Alors quoi encore ? Ville exigeante, toujours à réclamer d’être mieux racontée. Bayonne est un lieu sans fin, sans confins, un endroit où rien ne se ponctue. Ni les Pyrénées, ni l’Océan n’y sont parvenus, alors pensez, les hommes ! Pas de point final aux avatars de la cité multiple. Il y a toujours une évocation différente à en discerner, une nouvelle vision. Cela n’en finira donc jamais. Tant mieux. Dans ce carnet à dessins, rien n’est oublié, en croquis et en tendresses, en clins d’œil ou coups de pinceau. Bayonne sait se faire choyer, c’est indéniable. Le promeneur ne peut jamais l'effacer de sa mémoire après avoir découvert, au détour d’une ruelle ou d’une porte-cochère, cette cour ou ce balcon, cette façade bariolée. D’une balade à Bayonne, les souvenirs s’entrechoquent et les valises sont chargées d’instants et de partages, d’amitiés et d’émerveillements.
Personne n’en a jamais parlé, assurément. L’émotion est si nouvelle, impossible qu’elle ait été éprouvée auparavant. C’est l’histoire sans cesse renouvelée des premières fois. Le moment unique où, vierge de tout sentiment, intact de la vie, on se retrouve prêts à aimer, sans les cicatrices de passés mal refermés.
Bayonne, tête en l’air. Pas étourdie, rêveuse. La cathédrale fait partie du panorama obligatoire de nos émois. Elle s’improvise en arc pour lancer ses deux flèches vers le haut. Voudrait-elle de ses banderilles caractéristiques provoquer le ciel et l’obliger à entendre les prières faites ici bas ? Bayonne encore. Nonchalante qui laisse ses vieilles pierres, les pieds mouillés, se bercer des eaux douces ou salées, tandis que le regard se pose toujours un point plus haut, un univers plus loin. Les colombages des façades évoquent, irréguliers, les coups de pinceau rageurs d’un artiste en colère. La ville, on ignore par quelle magie, évoque à la fois l’enfance et les chimères. Bayonne, toujours. Elle rassemble sous ses ponts les espoirs d’ailleurs différents et le bonheur des retours au foyer. Petits viaducs où l’on se croise, se retrouve. Le lieu mixte de nos départs et de nos arrivées. La ville invite aux flâneries, aux promenades d’attendris enlacés, et si la fête s’en mêle, les pas deviennent de danse. Dans les rues étroites du Petit Bayonne, aux pavés râpant les chaussures, aux aspérités abruptes qui gênent les coquettes aux talons hauts, il faut marcher la nuque rejetée en arrière. Pour rêvasser et ne pas manquer les façades arc-boutées, âgées, qui se rapprochent dangereusement pour se soutenir, et finissent par laisser passer le ciel comme une passerelle entre deux mondes.
Quand sonne l’heure des fêtes, tout bouge, tout change. Bayonne éclate de rire. Elle se gonfle de présences multiples, prête à exploser, et charrie des flots de chants et d’ivresse, de folie et de promesses. Elle abrite, dans un cocon de cris et d’hérésie, les effleurements des couples prêts à s’aimer l’espace d’une nuit, voués à l’ébriété joyeuse et à la liberté. Sous l’œil bienveillant du roi Léon, les agapes estivales s’ouvrent aux aurores de juillet pour mieux faire cohabiter locaux et vacanciers. On vient de loin, pour récolter le sourire de la bien-aimée devant une prouesse de bar ou de rue. Et si l’on ose, il est bien un taureau à braver, ou un torero à admirer qui, avec maestria, cambrera ses reins pour montrer que les hommes sont plus beaux de vaincre.
Si Bayonne aime tant s’amuser et jouer au crépuscule, auréolée de son caramel de lumières dorées, c’est pour oublier ses labeurs du jour. Car l’oisiveté bourgeoise d’une bonne naissance n’appartient qu’à la sœur biarrote, dont on réglera les comptes samedi, autour de l’ovale d’un ballon de rugby. Bayonne laborieuse, à laquelle la mer tend ses bras où dansent les ombres mécaniques des grues maritimes. Heureusement, rien ne l’amoindrit. Beauté spontanée que tous les fards embellissent sans la dénaturer.
Bayonne gourmande, aux terrasses des cafés. Un bon chocolat. Audacieux parfois quand s’y mêle la saveur inusitée du piment d’Espelette. Le même qui parfume le jambon d’ici. D’où ? De Bayonne, pardi. Difficile d’oublier certaines notoriétés et d’ailleurs, qui le voudrait ?
Il y aurait tant à en dire, à en ressentir encore, mais rien ne vaut l’œil de l’artiste posé sur la cité. SP est amoureuse, elle ne pourra pas le nier. La voici confondue, prise en flagrant délit de tendre inclination. Elle raconte ses émotions en couleur, les dessine, comme elle dirait un béguin, une tocade aux allures d’éternité. A la découverte de ses croquis, c’est dans son cœur que l’on croque, livrés à sa drôle de bonne fréquentation : une ville. C’est l’histoire d’un carnet de voyage qui ne mène pas vers l’extérieur mais vers l’intérieur, vers l’auteur, en version journal intime. Pas un voyeurisme galvaudé, mais une complicité pudique. La femme et la ville se mêlent à si bien s’aimer, et l’on est presque gêné de profiter de leur promiscuité affective. Ainsi se manifeste l’art, à nous laisser chanter, écrire, ou peindre les passions, avec en conclusion l’offrande à ces autres, des inconnus qui sauront nous recevoir mieux que nous-mêmes. D’aucuns chantent leur ville. Elle la dessine, et si cela ne suffit pas, elle glisse des mots en précision, et surtout en émotion. SP nous fait le présent de ses esquisses trempées à l’encre des sentiments. Il ne faut pas prendre la chose à la légère. D’où cette nécessité absolue de détailler les dessins plusieurs fois, sans simplement se contenter de les feuilleter, l’œil et le cœur lointains. Y revenir comme l’on aime retourner dans les endroits chéris, et découvrir un lieu ignoré la fois d’avant. Parce que la ferveur ou le moral n’y étaient pas, et qu’aujourd’hui, on est prêts à s’ouvrir et recevoir enfin. Dans les dessins de SP, c’est un peu la même chose. Un pétale oublié, une carte postale glissée, et quelques mots griffonnés, rien ne doit s’omettre. C’est l’impression d’ouvrir une malle, au creux d’un vieux grenier et d’en extraire des souvenirs. De voyage et de vie. S’il le faut, s’arrêter sur une page, la regarder longtemps et s’absorber dans ses trésors et ses feuillages. Effeuiller les pages comme une marguerite, en sachant que l’on finira par un « je t’aime à la passion ». Prendre le temps d’admirer, de détailler, comme dans une promenade vraie. Et au hasard d’un verso, comprendre enfin que la femme qui parle est une femme qui aime. Sa ville. Bayonne à la folie.

Gracianne HASTOY

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Modifié le 07 - 11 - 2010
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