PAYS BASQUE ET DE LUMIERE

Elle. Universelle, offerte comme le jour ou la vie. Si elle s’assoupit la nuit, c’est pour être révélée par un rayon de lune. Jamais elle ne s’absente tout à fait. A l’approche des ténèbres, elle mêle ses derniers soupirs apaisés au confort des nuages, et exhibe alors de mirifiques couchers de soleil pour s’excuser de son futur sommeil. Elle est, lumière, symbole de notre chance et de notre éternité. Rassurante, mère protectrice, aux rayons chaleureux pour nous servir de berceaux et de repos, celle qui nous guide et fait vivre nos yeux. Sans elle, plus de certitudes ou de chemins, et en unique perspective des crépuscules effrayants comme des gouffres sans fin. Lumière, phare de la vie.
Elle pourrait, primaire, se déverser partout d’une identique manière. Ce serait légitime. Un peu comme un présent divin assuré sans distinction de lieu ou de classe. Mais les Dieux, c’est bien connu, sont capricieux. Ils ont choisi d’ensemencer des terres plus belles, et pour mieux les révéler, y ont versé la belle et unique singulière.
Le Pays basque ne serait pas le même sans cet éclat si particulier. Il serait beau, certes, de ses pâturages, de ses maisons couleur sang et chêne, mais à quoi bon la couleur sans la lumière ? Tous les peintres savent manier la couleur, la transcender, à la gouache, l’huile ou en aquarelles, mais aucun, malgré des efforts louables, ne peindra jamais la clarté. Les photographies, elles, attrapent cette insaisissable qui se laisse parfois capturer, mais jamais reproduire. Mirage perpétuel.
Ici, des versants espagnols, de Biriatou à Bayonne, en passant par Guéthary, il n’est pas un soir identique, pas un matin similaire. Les jours passent et ne se ressemblent pas. Il ne faudrait pas en manquer un seul, sous peine de se priver d’un spectacle, assurément. Ici, on ne devrait pas avoir le droit de s’éteindre, fugace, en dernier éclair.
La nature propose son exposition annuelle. S’il pleut à Biarritz, les nuages sombres jettent leur drôle d’ombre sur les falaises claires, et les rochers torturés. Si le soleil se couche à Bidart, il n’oublie jamais de répandre des flots parme, rose et lilas, dans un ciel couleur dragée.
Un Pays basque en forme d’enluminures.
Tout est passé au prisme unique de la beauté. Lumière pure, en offrande, mais aussi révélatrice, donnant tout son sens au noble art du cliché. Elle vient alors accentuer les couleurs, rendre plus écarlate la robe des danseurs souletins, et plus blanc le pantalon des joueurs de chistera à Saint-Pé-sur-Nivelle. Tout se transcende, se dépasse, se modifie et change. Sans arrêt. Une mouvance colorée.
Parfois, au creux des jours clairs, c’est beau comme un ailleurs. Tout devient pays lointain, tropical, exotique. Aurores qui ressemblent à des carte-postales, envoyées du bout du monde, alors que tout est là, sous nos yeux émerveillés. Il faudrait se pincer pour y croire. L’insolence du cadeau ne nous laisse pas de marbre. D’autres fois, il faut s’approcher, toucher du doigt la réalité pour se persuader de sa vérité. On remplit sa vie à regarder, à croire enfin en une puissance suprême et invisible, capable de tout magnifier. Le rapport à la spiritualité n’est jamais plus vivant que dans ces instants de pure et simple contemplation.
Le ciel, mes amis, le ciel d’ici ! Limpide parfois, alors d’un bleu insolent, défiant l’Enbata, le lointain mauvais temps. Nuageux à d’autres moments, quand les filaments se dispersent, duveteux, pour prouver que le ciel a ses couleurs à dire, ses mystères à laisser percer. Il se dit du soleil qui troue les nuages en grands faisceaux qu’il figurerait les entrées au paradis. Une espèce de chemin argenté vers l’éternité. L’envie d’y croire rend la perspective du grand départ plus gaie.
En attendant, jouez. Prenez un ciel d’été, jetez en contrefort les Pyrénées, des vagues qui lèchent la grève dorée, et les amoureux viendront errer sur les plages, rêveurs et souvent silencieux, dans un partage muet de cette nature, meilleur peintre de l’Univers. Avec un peu de chance, la pluie vient verser ses larmes sur les plaines consumées de soleil, et un arc-en-ciel naît, dont nul ne sait jamais vraiment expliquer la magie des rais, laissant à penser que Dieu a laissé traîner sa palette, surpris dans sa perpétuelle création. Alors, on s’empresse de guetter au loin le signe d’une prochaine éclaircie. Sonder le ciel, et sourire en sachant que demain, il fera clair. Quand la lumière donne les mêmes espoirs que l’existence.
Il n’est pas une pierre de ce pays, lissée ou rocailleuse, abrupte ou polie à n’être sublimée par l’éclat de ce projecteur géant. Voyez les frontons et les églises, les remparts de Bayonne, ou les cailloux ronds des Alcyons, voyez comme ils s’illuminent et sont différents de l’aube au crépuscule.
Un peu comme les êtres qui changent et grandissent, et sont plus riches le soir que le matin d’avoir appris et vécu entre-temps.
Un peu comme ces arbres qui se parent de leurs plus belles couleurs au moment de s’engoncer dans les frimas de l’hiver.
Un peu comme la vie qui nous offre la lumière en premier regard.
Et si le trépas, notre propre néant, se résumait à une perte d’éclat ? Preuve s’il en est que le Pays basque est vivant, bien vivant. Flamboyant.
Tout est sans arrêt remis en question dans cet énigmatique pays. Les données essentielles et basiques y semblent tronquées. Un ciel, c’est de quelle couleur ? Ailleurs, je ne sais pas, mais ici, tantôt bleu outremer, tantôt gris souris, ou – plus surprenant – rouge grenat, orangé, rosé. Et la mer ? Dis, la mer ?
Un miroir du ciel, rien de moins.
Vous voulez la dessiner ? Hésitez donc longtemps à la reproduire bleu turquoise, vert émeraude, ou gris anthracite. Gardez la tête en l’air, les yeux dans les nuages, pour l’imaginer en dessous de vous, mouvante, en reflet coordonné. Les terres, vous pourrez y employer toutes les variations simples ou composées, des verts domestiqués et olivâtres du Golf d’Ilbaritz aux couleurs sombres et céladon pour dessiner les forêts. N’y oubliez pas les ocres et ambrés des terres cultivées, les roches rosées de la Navarre, et les jaunes tendres des premiers blés. N’omettez pas non plus, sur les bords des chemins, le bleu étincelant des fleurs de lin, et les bouquets en clairsemés safranés. Possibilités infinies. A contre-jour et parfois à contre-courant. Rien n’est trop audacieux pour les faiseurs de couleur. Une interrogation naît cependant : si les Dieux sont peintres ou photographes, laissons-leur la prérogative du choix, qu’en est-il des hommes ? A des années-lumière de notre imaginaire, même le plus délié. Avec leurs bérets, leurs tenues de carnaval, de pêcheurs ou de danseurs, ils viennent compléter le panorama étonnant de ce pays aux mille illuminations. Mais il se conte que la plus belle des couleurs est celle qui sommeille dans leur sang et dans leur cœur. Conçue de paillettes d’or, et de lumière.

Gracianne Hastoy

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Modifié le 07 - 11 - 2010
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